Le préjudice nécessaire, une espèce en voie de disparition

 

Pour engager la responsabilité d’une personne, il est classiquement requis la réunion de 3 éléments :

  • Une faute commise par l’auteur des faits reprochés;
  • Un dommage subi par la victime des faits;
  • Un lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi.

Pour faciliter l’évaluation du préjudice en droit du travail, le législateur a été amené à définir un plancher de dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié. C’est ainsi que l’ancien article L 1235-3 du Code du travail a longtemps énoncé qu’un salarié travaillant dans une entreprise de plus de 11 salariés et disposant de plus de 2 années d’ancienneté pouvait – a minima – prétendre à 6 mois de salaire à titre de dommages et intérêts. L’on voit qu’il s’agit d’une fiction juridique puisqu’il se peut parfaitement qu’un salarié licencié sur la base d’un motif illégitime ait immédiatement retrouvé un CDI mieux rémunéré que son précédent emploi.

Cette fiction juridique poursuit une double finalité. D’une part, elle facilite l’évaluation du préjudice en définissant un référentiel auquel le juge prud’homal peut se aisément référer. Et d’autre part, cette fiction a une fonction comminatoire, elle dissuade l’employeur de licencier sur la base d’un motif illégitime.

S’inspirant du préjudice plancher institué par l’ancienne version de l’article L 1235-3, la Chambre sociale de la Cour de cassation a initié une jurisprudence selon laquelle certains manquements de l’employeur causaient « nécessairement un préjudice » au salarié (Cass. Soc., 29 avril 2003, n° 01-41364).

Cette position jurisprudentielle a généré un contentieux abondant puisque pour obtenir une indemnisation, il suffisait au salarié de démontrer un manquement de l’employeur et de solliciter une somme forfaitaire à titre de dommages et intérêts.

L’on voit ainsi que ce principe n’a pas solutionné la difficulté originelle en matière d’évaluation du préjudice subi.

Face à ce constat, la Chambre sociale de la Cour de cassation a mis un terme à la notion de préjudice nécessaire. Cette position est désormais bien acquise comme l’illustrent de nombreux arrêts concordants :

  • En cas de remise tardive du certificat de travail et bulletin de paie (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293)
  • En cas de défaut d’organisation de la visite médicale de reprise du travail (Cass. soc., 17 mai 2016, n° 14-23.138)
  • En cas d’illicéité de la clause de non concurrence post-contractuelle (Cass. soc., 25 mai 2016, n° 14-20.578)
  • En cas d’irrégularités au cours de la procédure de licenciement (Cass. soc., 30 juin 2016 n° 15-16.066)
  • En cas de remise tardive d’une attestation Pôle Emploi (Cass. soc., 22 mars 2017 n°16-12.930)
  • En cas de mise à pied conservatoire injustifiée (Cass. Soc., 10 janvier 2018, n°16-14.277)

Cette solution est juridiquement louable en ce qu’elle réintroduit la logique fondamentale entre le manquement commis par l’employeur et les effets de ce manquement pour le salarié. Cette philosophie pousse au débat contradictoire ce qui permet au juge de former une conviction éclairée. En effet, sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, le salarié était incité à solliciter une somme forfaitaire élevée et l’employeur à simplement en demander la réduction.

Il convient toutefois de relativiser la fin du concept de préjudice nécessaire.

D’une part, les juges du fond conservent un pouvoir souverain d’appréciation des faits ce qui – concrètement – se traduit par la possibilité de quantifier le préjudice au regard d’un ensemble d’éléments et de circonstances pris dans leur globalité (Cass. soc., 27-09-2017, n° 16-12.852).

Et, d’autre part, la notion de préjudice nécessaire demeure consacrée par le Code du travail dans sa version issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017. En effet, l’article L 1235-3 du Code du travail prévoit que tout licenciement injustifié donne lieu à des dommages et intérêts au moins équivalents à 3 mois de salaire dès lors que le salarié a travaillé au moins 2 années dans une entreprise de plus de 11 salariés.

Cela étant, les salariés devront désormais veiller à produire des éléments pertinents afin de corroborer les sommes sollicitées à titre de dommages et intérêts en raison des manquements reprochés à l’employeur.